TEXTES 2000-2009

Les textes consacrés au travail de Robert Milin sont accessibles en très grande partie ici, de nouveaux textes sont régulièrement mis en ligne

 

 

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1- Extrait de Robert Milin, artiste confidentiel, un texte de Jean Charles Agboton, 2003

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2-  L'art, les gens, l'espace public, une lettre de Delphine Suchecki et Robert Milin, envoyée à Veduta, Biennale de Lyon, 2009
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1- Robert Milin, artiste confidentiel
Jean-Charles Agboton-Jumeau (critique d’art)
0.0 Soit en Tarn-et-Garonne une petite localité abritant 2 790 âmes, sise au bord du canal des Deux mers dans la vallée de la Garonne et desservie par l’autoroute du même nom ; placée à la croisée des RN 20 et 113 ainsi qu’à mi-chemin de Toulouse et de Montauban, elle est bordée au nord du canton par le vignoble des Côtes du Frontonnais d’appellation contrôlée : voici Grisolles, d’un mot qui dérive d’ecclesiola, soit « petite église ». Et soit, à proximité de l’église paroissiale Saint-Martin, une maison à colombage et en briques roses datée du XVIe siècle, convertie en musée des Arts et Traditions populaires dit Théodore Calbet, du nom de cet instituteur du XIXe siècle qui fut à l’origine de la modeste collection de vestiges gallo-romains, costumes d’époque et autres armes et faïences plus ou moins anciennes ou locales ; à la tête de cette dernière, un jeune conservateur à l’invitation duquel Robert Milin a répondu par une œuvre spécialement conçue et réalisée pour Grisolles. Elle s’intitule : Attention ! chien léchant.
0.1 Conformément à un protocole établi depuis une douzaine d’années, Robert Milin s’est donc rendu à Grisolles pour une visite1 préalable à l’élaboration de son projet. Au détour de sa déambulation dans cette ville autrefois connue pour « ses grandes foires et ses fabriques de balais », l’artiste devait tomber sur un arrêté municipal rappelant à l’ordre les usagers comme suit : « Pour information aux propriétaires de chiens : cet endroit n’est pas destiné à recevoir les excréments d’animaux de compagnie. Afin de respecter la bonne tenue de ce lieu, il est demandé aux propriétaires d’animaux domestiques de ne pas laisser leurs chiens faire leurs besoins ici. Nous comptons sur votre compréhension et sur votre sens des responsabilités. »
1.     Rappelons que « visiter » dérive du latin visitare, fréquentatif de visere, « voir » (Le Petit Robert). p 58

0.2 Voici pour le contenu de cet arrêté dont on notera qu’il se distingue également par sa forme ; en effet, glissé dans une chemise transparente, son affichage a donné lieu à la fabrication expresse de supports qui conjuguent une plaque de contreplaqué excédant de peu le format A4, fixée à hauteur du regard, et un pieu en bois d’acacia. Outre sa commodité et sa modicité, l’adoption de cette forme a sans doute été dictée par la topographie spécifique induite par l’objet de la susdite « information aux propriétaires de chiens » : les excréments de ces derniers. Ainsi donc, à rebours de la standardisation croissante du mobilier urbain, de la signalétique et de l’affichage publics, ces pancartes relèvent plutôt d’un artisanat suranné que de la technologie ordinairement en vigueur.
0.3 Au terme de ce repérage topographique, Robert Milin va pour ainsi dire procéder à un casting. Au cours de séjours répétés à Grisolles – en logeant de préférence chez l’habitant2 –, il rendra donc visite à une dizaine de foyers cynophiles, dans le but avoué de les associer à la prépa- ration de son travail. Comment ? En recueillant auprès de ces derniers des images de leur chien, et ceci en un sens double : au sens propre, il colligera des photographies ; au sens figuré, il recueillera via la parole de ses interlocuteurs, les images qu’ils se font de leur chien ainsi que leurs noms.
0.4 Une fois cette documentation rassemblée in vivo, Robert Milin va la traiter en se livrant à une série de dé- placements ou de translations plastiques et topographiques, autrement dit à une translaboration. Primo, ayant retenu une forme préexistante – le placard sur pieu – il en disséminera une quarantaine à travers Grisolles selon un parcours qui ne recoupe pas né- cessairement la coprographie municipale. Secundo, il y remplacera le texte de la susdite « information » par les propos tenus par ses interlocuteurs sur leurs chiens ; tertio, à partir des photographies sélectionnées, il dressera lui-même le portrait des chiens mais avec les moyens du bord : soit avec des outils graphiques et chromatiques ordinaires, exclusivement disponibles au domicile de chacun de ses hôtes (stylo à bille, feutre, crayon, gouache, aquarelle, etc., à l’usage ou non des enfants entre autres). Sur les placards, ces portraits seront sous-titrés de noms réels relevés par l’artiste sans qu’ils ne correspondent cependant aux chiens portraiturés, alors que les phrases, elles, ne sont signées d’aucun de leurs auteurs. On le voit donc, la translaboration consiste ici à remanier des éléments qui préexistent à l’intervention de l’artiste, à permuter et à interpoler ces emprunts, en sorte qu’ils « flottent entre le rivage de la perception, celui du signe et celui de l’image, sans aborder jamais à aucun d’eux3 ». Du langage public ou privé à la parole anonyme ou intime, comme de l’oralité à l’écriture, des cynophiles aux chiens et inverse- ment, de la photographie à la peinture comme du ready-made au fait-main, ou encore de l’artisanat à l’art, Robert Milin oscille toujours entre documentaire et fiction, entre réel et imaginaire, sans jamais aborder à aucun d’eux.
2. A cet égard, qu’il me soit ici permis de remercier chaleureusement Rolande et Michel Sauret pour leur rare sens de l’hospitalité lors de mon séjour à Grisolles, ainsi qu’Yvan Poulain pour sa sollicitude.                                                                                                                                                                                           
                                         p60
1.0 C’est ainsi qu’au terme de cette translaboration collective, l’exposition de l’œuvre peut avoir lieu en pleine rue, sous le titre suivant : Attention ! chien léchant, autre emprunt effectué à Grisolles même, d’après un panonceau lu à l’entrée d’une maison. Aux images des chiens dont la technique et les couleurs relèvent davantage d’un art dit naïf ou populaire sinon infantile, font pendant une vingtaine de citations de cynophiles non moins laconiques ou ingénues. Dans ces images et ces phrases plus ou moins poignantes ou candides on verra donc, non seulement des portraits métonymiques mais encore des vedute ; autrement dit, des fenêtres dont on sait qu’elles ont institué « le pays en pay- sage » dans la peinture occidentale4. Mais à l’inverse de la tradition picturale, ces vedute – les placards – sont disposées à l’extérieur comme autant d’aperçus sur des intérieurs où l’animal – domestique par excellence – occupe une place prépondérante. Ce faisant, Robert Milin dépayse le paysage, en indexant précisément ceux qui l’habitent, fût-ce de biais. En outre, à rebours de la (di)vision du travail artistique qui est aussi celle du subjectile, l’artiste pratique le mélange des genres et des techniques : photographe, il se fait tour à tour peintre animalier, affichiste ou paysagiste, tout comme en d’autres occasions, il se sera fait chef d’un chantier de peinture et décorateur ou encore jardinier, etc5.
3. J.-P. Sartre, L’Imaginaire, Paris, 1940, p. 54.
4. A. Roger, Court traité du paysage, Paris, 1997, p. 73.
5. Voir par exemple, L’Atelier de l’Office, Ivry-sur-Seine, 1994 ; rappelons en outre avec M. Warnke, ceci : « Avant le XIXe siècle, peindre des banderoles, des harnais, des murs, voire des corps humains n’avait rien d’humiliant. » C’est ainsi qu’outre les tableaux, Holbein le Jeune avait « toujours telle ou telle chose à confectionner, à décorer, à peindre, meubles et bibelots, effigies et écussons, les étendards et les drapeaux des navires, les selles de chevaux, même les gâteaux qu’on présentait sur la table. » L’artiste et la cour, Paris, 1989, p. 249-250.
 L'intégralité du texte dans le livre:

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2 - L’art, les gens, l’espace public


Nous Robert Milin, artiste et Delphine Suchecki, associée à ses projets avons été invités à réaliser une œuvre  dans le quartier des Montmousseau Herriot à Vénissieux, prolongeant celle réalisée dans le quartier des Etats-Unis à Lyon.
Notre façon de travailler appelle une certaine lenteur pour mobiliser des collaborations d’habitants dans le respect des personnes et des groupes.
Nous avions émis des réticences concernant la faisabilité de la commande dans le quartier de Montmousseau Herriot. Des délais très restreints nous étaient impartis, l’implication de surcroît des services municipaux était très faible et très lente.
Des arguments nous ont finalement convaincu que les choses étaient encore possibles : d’une part la promesse d’une implication de la ville et d’autre part la rencontre avec la présidente de l’association des locataires qui s’est emparée avec enthousiasme du projet.

Aujourd’hui pour la quatrième fois nous apprenons que la date du vernissage, fixée par La Biennale d’Art Contemporain de Lyon, est décalée sans que jamais nous n’ayons été consultés, ni la présidente de l’association des locataires, ni moi même. Or sans cette militante locale défendant les locataires, ce projet n’aurait pu voir le jour dans des délais aussi courts.

Alors nous nous demandons ceci : pourquoi ne commence t on par nous demander quelques dates à nous porteurs de ce projet ? Pourquoi les changements nous parviennent au hasard d’une conversation ? Pourquoi les habitants ne sont aucunement informés ?

Par ailleurs nous avons rencontré plusieurs personnes du monde de l’art  qui sont venues à la Biennale, ont regardé  mes œuvres au Musée  d’Art Contemporain de Lyon, mais ne sont pas allées dans les quartiers me disant sans arrière pensée que l’installation in situ c’était pas pour eux mais finalement pour les habitants.

Tout cela nous amène à nous interroger sur le sens de l’art dans les quartiers ? Pour qui, pour quoi fait on de l’art dans les quartiers ?

Est ce pour dire que tout de même on fait quelque chose pour les exclus habituels de l’art ? Se dédouaner ?

Nous, nous pensons, que l’on ne peut intervenir dans des quartiers défavorisés, marqués socialement et symboliquement comme on intervient dans une galerie. C’est évident !

Intervenir aux Minguettes comme Robert Milin l’a fait c’est un engagement réel, parfois même une mise en danger. C’est un engagement politique, au sens profond de ce terme, mais aussi moral et physique auprès de personnes vivant dans des quartiers quasiment abandonnés par la République malgré les promesses d’amélioration faites depuis plus de 20 ans.

C’est comme si l’art était réservé à une certaine population et à certains lieux et qu’ici on faisait un petit quelque chose juste pour dire qu’on l’a fait, mais sans conviction profonde, comme si tout se jouait ailleurs.

Comment ne pas devenir un alibi politique ? Comment ne pas être instrumentalisé comme artiste ? 
A chaque création dans un quartier nous cherchons la position juste entre autonomie de l’art, prise en compte du contexte et respect des gens.

Ne pas être celui qui vient déposer son savoir ni essayer à tout prix de faire croire que

Pour cela nous prenons le temps de rencontrer les acteurs locaux puis les habitants.
La méthode ? Aller et venir sans rien forcer, laisser du temps, présenter son projet, répondre aux incompréhensions…
Pour cela il faut soit de longs mois de travail ou alors, quand les délais sont restreints, un réel soutien de personnes connaissant le terrain, pouvant rapidement nous amener vers des personnes qui seront de bons relais entre le projet et la population.

Nous n’avons eu ici ni l’un ni l’autre.

Ce pendant grâce au soutien de Sophie Vargas, présidente de l’association des locataires le projet a pu aboutir. Un minimum de vie sociale tient grâce à des gens comme elle, même dans des quartiers comme celui où Robert a placé un  caisson lumineux indiquant «  Pas de Justice, pas de paix. »

Mais voilà les caissons sont installés et personne ou si peu du monde de l’art ne vient à Montmousseau.

Les journalistes ou autres personnes intéressées sont emmenées à la rigueur à Lyon 8.  C’est la cas de la journaliste du Monde qui est venue interroger Robert à Lyon mais pas aux Minguettes. A nouveau il n’y avait pas de temps pour Vénissieux.
Il y a si peu de temps que depuis plusieurs mois nous attendons pour organiser un petit moment convivial avec les habitants, un petit vernissage autour de quelques tables mais voilà à nouveau tout est décalé.
Depuis juillet les habitants attendent ou plutôt n’attendent plus car nous ont ils dit hier  nous on a tellement l’habitude de ça !

Notre travail plastique ne consiste pas à venir déposer un bel objet dans un quartier et à repartir. Il prend en compte le contexte dans ses complexités, il est impliqué même s’il n’est pas à proprement parlé politique ou militant. Mais il est bien sûr traversé par ces questions.
Ces œuvres dans l’espace public ne prennent souvent sens que dans leur temporalité.  C’est le temps qui permet l’appropriation, la discussion. Des petits événements symboliques comme le vernissage permettent de réactiver la parole et l’installation.

Des annulations successives du vernissage et une absence totale de communication avec les habitants (tout du moins avec quelques représentants actifs) ravivent en eux ce sentiment d’auto exclusion d’un monde perçu comme élitiste.


Robert Milin et Delphine Suchecki
20 octobre 2009