CHAMPS-CONTRE CHAMPS / VIVRE AVEC LES BÊTES UNE EXPOSITION COLLECTIVE
Du 31 mars au 27 mai 2018
STUDIO GWINZEGAL
Espace François-Mitterrand - 1, place du Champ au Roy
GUINGAMP
ET
JAFER
UNE OEUVRE SONORE DE ROBERT MILIN
A PODCASTER SUR FRANCE CULTURE
ICI
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Pour en savoir plus sur l'exposition:
- EXPOSITION
- http://m.cnap.fr/vivre-avec-les-betes
- http://www.letelegramme.fr/cotes-darmor/guingamp/expo-une-invitation-a-repenser-nos-vies-31-03-2018-11908267.php
- https://www.ouest-france.fr/bretagne/guingamp-22200/le-critique-d-art-interroge-sur-la-place-de-l-animal-5664123
Moments de rencontres, d'enregistrements pour VENI, VENI, VENI, Portrait d'éleveurs de brebis dans le Quercy et pour Parler aux Bêtes.
Pour en savoir plus sur les oeuvres voir ci dessous et regarder L'ART LES GENS ET L'ARTISTE http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=5420 pour une compréhension élargie des oeuvres et de leur réalisation.
Veni, Veni, Veni, Portrait d'éleveurs de brebis dans le Quercy, oeuvre vidéo, 2005
"Invité en 2005 en résidence d’artiste à Saint Circq Lapopie j’ai souhaité poursuivre mon travail sur le monde rural amorcé avec Allez viens donc !
J’ai
voulu travailler sur l’idée du portrait.
Il
m’a semblé que je pouvais réaliser des portraits d’éleveurs, en me préoccupant
moins directement du contexte, surtout dans le monde paysan très marqué par des
stéréotypes. J’ai également écarté l’idée d’un portrait qui se voudrait
neutre, silencieux, uniquement en gros plan. J’ai choisi de travailler sur la
voix et le langage. Je me suis intéressé à l’appel, au cri, à l’interaction cri
espace. Le cri poussé dans l’espace est un volume qui emplit tout,
momentanément.
Pour
cela j’ai fait poser devant moi des éleveurs de brebis, placés à 1,50 m d’une
caméra. Au-dessus d’eux, un micro.
Ces
éleveurs, habitants du Quercy, je les avais longuement rencontrés auparavant,
afin de leur expliquer puis de leur demander de collaborer avec moi. En fin de
parcours, dans le studio que j’avais improvisé, un par un, ils sont venus
s’asseoir, face à la caméra, comme devant un photomaton. Robert Milin".
Parler aux Bêtes, oeuvre sonore, 2012
En 2012, Robert Milin a reçu une commande publique de
l'Atelier de Création Radiophonique de France Culture pour la création d’une
œuvre sonore. Son projet était de poursuivre son exploration du monde paysan.
Depuis dix ans il s’intéresse de près aux
pratiques d’élevages. Il avait rencontré une cinquantaine d’éleveurs dans
diverses régions de France, principalement des éleveurs de vaches et de brebis
dont les pratiques étaient très diverses, des plus intenses aux plus
bucoliques. Il créait alors Allez viens
donc ! une œuvre vidéo et sonore où résonnent des appels faits aux
bêtes dans les champs, puis Veni, Veni une
autre œuvre proposant un portrait vidéo de paysans du Quercy. Pour Parler aux bêtes, il a retrouvé
quelques éleveurs et en a rencontré des nouveaux.
Il les a fait «poser» devant un micro : un par un, ils sont venus comme devant
un photomaton dans
leur propre exploitation, dans un champ, une étable, une stabulation. Et là, il
leur a demandé de parler à leurs bêtes, de faire un effort de concentration
pour se souvenir et reformuler ce qu’ils disent quant ils parlent à leurs
animaux. Il a aussi enregistré des bruits, des sons dans les différents lieux
de l’élevage.
Cette œuvre créée
dans la perspective d’une diffusion radiophonique est purement sonore, sans
image ni installation. Le visuel étant absent de la création, c’est notre
propre imaginaire qui est sollicité, avec nos sensations et nos mémoires. Des
pas, des cris, des voix d’hommes, des appels, des voix de femmes se succèdent,
se chevauchent comme des fragments des bruits de la vie. Puis des poules, des
brebis, de la musique à la radio et le sentiment d’une ferme heureuse comme
dans un souvenir d’enfance. Mais aussi des bruits métalliques, répétitifs, des
questions ou assertions emplies de confusion : « Ce sont des
monstres », « On ne nous paie pas le prix des choses »…. Des
sons, des paroles évoquant un monde paysan désarçonné. Dans nos
imaginaires les fermes ne sont pas des usines, et pourtant cette voix demande:
« mais pourquoi ont ils fait de vous une industrie ? ». Les
suicides, la guerre des semences, les puces RFID, les vaches sans corne, les
farines animales… Tout s’éloigne des images d’Epinal du monde paysan. Le mot
« ferme » ne s’accorde plus avec la réalité des lieux de l’élevage.
Certes des images résistent dans nos imaginaires mais elles restent des images.
Des résistances concrètes se mettent en place : le GIE Zone verte, le
réseau semences paysannes, Kokopelli, le groupe Faut pas pucer … Mais d’autres
continuent toujours plus loin pris dans un engrenage, aussi loin parfois que ce
projet d’un investisseur BTP pour créer « la ferme des 1000
vaches » qui produirait 9 millions de litres de lait par an dans la Somme.
En écoutant Parler aux bêtes
j’ai tout d’abord pensé à une autre oeuvre plus légère, remplie d’humour et
d’ironie : celle de Marcel
Broodthaers « interviewant » pendant quelques minutes
son chat sur le rôle des musées, sur l’art contemporain, sur le titre de
Magritte, Ceci n’est pas une pipe. En réponse, le chat miaule. Avec Parler aux bêtes, les questions, les
mots restent aussi sans réponse : ce sont des monstres… pourquoi ont ils
fait de vous une industrie ?
Mais ici ce n’est pas
l’artiste qui met sa voix en scène mais comme toujours dans les œuvres de
Robert Milin ce sont des personnes rencontrées spécifiquement pour ce
projet : les éleveurs. C’est une longue immersion qui lui permet de
réaliser ce travail aux allures d’archiviste dans un premier temps. Au sens où
il part à la rencontre, à l’écoute et collecte ses matériaux. En cela sa
démarche s’apparente aux œuvres musicales de Nicolas Frize, je pense aux
oeuvres Patiemment ou Paroles de voitures nées de longs moments d’immersion
dans un hôpital et dans une usine. Les deux artistes s’immergent longuement
dans des univers dont ils puisent des matériaux qu’ils vont ensuite déplacer
dans une pratique artistique.
Suite aux rencontres
dans les exploitations, Robert Milin a donc demandé aux éleveurs de performer
leur propre rôle. Après ce travail d’enregistrement in situ est venu le temps
de la mise en forme de ces sons. Par le biais du montage tous ces matériaux
sonores construisent des pensées et des paysages. Si l’œuvre ne suit pas un
schéma très narratif néanmoins la succession de ces fragments de vie est
porteuse d’un potentiel figuratif. Le son a cette double capacité à convoquer
des expériences réelles tout comme à créer les conditions d’une histoire
imaginaire.
Pendant près d’une
heure les bruits, les paroles donnent son intensité à Parler aux bêtes,
le son devient une autre exploration de l’espace réel des élevages.
Deux grandes
sensations se dégagent. L’impression fugace d’un grand bonheur, l’image d’un
éleveur bienheureux dont le caquètement d’une poule deviendrait un emblème
sonore. Mais aussi ce sentiment beaucoup plus cruel de solitude et de désarroi
qui se fait sentir. Tout est sous contrôle, les paysans perdent leur autonomie
et le contact avec leurs animaux. Dans Reconquérir nos rues, l’urbaniste
et architecte, Nicolas Soulier fait le constat d'une « stérilisation »
des rues par le biais de règlements qui aseptisent et anesthésient les
volontés alors qu’il suffirait de presque rien pour que nos rues soient
reconquises par la vie. Il suffirait des quelques roses, d’un vélo, d’un arbre
ou de quelques poules.
Et que faudrait il
pour que les paysans puissent reconquérir leur autonomie ? pour que la
vache cesse d’être un produit sélectionné pour produire toujours plus ?
Pour que Libellule, Muscade fille de Job au
jarret droit ou Queue de Pie puissent continuer à paître ?
« Je me promenais
dans l'allée bordée d'eucalyptus, quand tout
a coup surgit de derrière un arbre
une vache. Je m'arrêtais et nous nous
regardâmes dans le blanc des yeux. Sa
vachéité surprit à ce point mon humanité
- il y eut une telle tension dons
l'instant où nos regards se croisèrent -
que je me sentis confus en tant
qu'homme, en tant que membre de l'espèce
humaine. Sentiment étrange, que j'éprouvais sans
doute pour la première fois: la honte
de l'homme face à l'animal. Je lui
avais permis de me voir, de me regarder,
ce qui nous rendait égaux, et du
coup j'étais devenu moi-même un animal,
mais un animal étrange, je dirais illicite.
(Gombrowicz, Journal 1958 NRF Fragments posthumes
XIV p 289). Delphine
Suchecki, décembre 2013