Naissance d'un quartier
Il y a près de chez nous*, à Dijon, un village où l'on aime aller.
Longtemps ce fut la commune des prairies, des vergers, des vieilles bâtisses, des petits chemins, de la place de l'église... Presque une image d’Épinal d'un joli petit village.
Un jour les vergers et les prairies ont commencé à disparaître laissant place à des terrains terrassés, remplis de gravats. De gros engins de chantiers allaient et venaient sans cesse.
Quelques vergers abandonnés subsistaient au loin, mais les chantiers en cours absorbaient inexorablement l'espace.
Un nouveau quartier était en train de naître sous nos yeux. Non pas quelques logements ni même un lotissement mais un immense quartier pavillonnaire qui par son ampleur venait bousculer l'équilibre du village ancien.
Il y avait là pour Robert la question des terres bétonnées et du paysage, la question de l'appropriation personnelle d'un lieu - ici la maison -, la question du collectif (comment appartient-on à un quartier qui n'a pas d'histoire?) et celle de l'impossible concordance entre les nécessités écologiques et le désir d'accéder enfin à une maison à soi.
Voilà plus de quatre années que Robert va à la rencontre des futur·es habitant·es, photographie la naissance d’un quartier, réalise des entretiens. C’est encore une fois un projet au long cours qui ne prend sens et forme que dans le temps et l’accumulation des images et des entretiens. Voici venu le temps d’un premier regard en arrière, cette page va présenter a postériori des images, des extraits d’entretiens, des pensées, des documents, des références
* Le nous renvoie à Delphine et Robert Milin. Diplômée en sociologie et en histoire de l’art, Delphine a décidé d’accompagner le travail plastique de Robert. Ainsi depuis le début des années 2000 elle travaille à ses côtés, pour chaque œuvre un dialogue et une collaboration s’instaure. Que ce soit à travers des textes, des lectures, des traductions, des rencontres, ce travail en commun peut prendre diverses formes selon les œuvres.
Choix de photographies, année 2021
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| Travaux sur chemin et maison, 2021 | 
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| Maison en construction au Clos des Aiges, 2021 | 
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| Numérotation de rue dans le haut du Clos des Aiges, 2021 | 
Choix de photographies, année 2022
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| Tracé et travaux pour la future rue du Clos des Aiges, 2022 | 
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Réflexion-discussion autour de ce projet en cours
DM: Pourquoi as-tu décidé de commencer ce projet photographique alors que de prime abord il ne correspond pas à ton travail habituel plutôt ancré dans des collaborations pratiques ?
RM: La photographie a souvent été présente dans mon travail antérieur mais plutôt comme élément accessoire d’une œuvre plastique. Par exemple dans l’œuvre publique Saint-Carré je me suis emparé de photographies amateures prises par les habitant.es lors d’évènements rituels. Ensuite j’ai recadré ces photographies et les ai transférées par sérigraphie sur des plaques en émail.
Dans cette période la photographie comme art commun / art moyen, facilement utilisable par tout le monde, m’avait intéressée, mais surtout comme matériau pour faire quelque chose d’autre avec elle.
Ici, pour Naissance d’un quartier cela change totalement. Je décide de m’emparer du médium photographique pour lui-même.
D’une part la photographie a un potentiel très fort pour aller vers les questions que je me suis posées au Clos des Aiges à Ahuy.
D’autre part je ne pense pas la photographie comme un moyen de prendre une image à la dérobée et de rentrer chez soi avec une sorte de trophée. La photo pour moi, notamment dans les intérieurs, c’est d’abord une relation entre des personnes qui se parlent. Elles conviennent à l’issue d’un processus - parfois de plusieurs semaines - de réaliser une image.
Dans l’espace public de la rue c’est différent: dehors la maison je la vois comme une façade qui s’expose au regard de tous. Et là je photographie directement. Mais je procède au vu et au su de tout le monde sans cacher mon appareil plus ou moins imposant (Réflex argentique 35 mm, moyen format ou grand format argentique, avec trépied parfois)
DM: Pensais tu dès le départ à un travail sur plusieurs années ?
RM: Non je ne pensais pas à un travail au long cours comme celui que j’ai désormais entrepris. Je pensais à un engagement sur 3 années.
Mais j’avais sous-estimé bien des difficultés techniques relationnelles et conceptuelles pour trois raisons :
- techniques: la photographie argentique par des appareils photos avec pellicules de sensibilité moyenne, suppose l’utilisation fréquente de flashes notamment en intérieur. Il y a aussi la nécessité d’utiliser des optiques à grand angle, qui ne déforment pas de trop les espaces domestiques photographiés: cuisines, salles de séjours, chambres, garages…
- relationnelles: je ne connaissais personne au départ sur le quartier. Je n’avais donc pas ce « Sésame ouvre-toi ! » qu’auraient constitué des habitant.es sur place pour me recommander des voisin.es. D’autre part les gens dans ce genre de pavillons, comme partout dans le monde contemporain, sont de plus en plus claquemurés chez eux. Ils sont devenus méfiants vis-à-vis de la personne « qui rôde avec un appareil de photo. » Ils ont peur que leur image ne soit vite exposée sur les réseaux sociaux.
- conceptuelles: un travail comme celui que j’ai entrepris consiste à photographier le développement d’un quartier. Il commence à partir d’un champ de blé ou d’un verger ne possédant rien d’autre que de la terre et le végétal agricole. Puis le travail se développe par la photographie des enlèvements et recouvrements de terre, par l’apparition de maisons, de rues et d’enfants qui jouent dehors… Désormais je pense qu’il me faudra près de 10 ans pour le mener à bien.
 
 
