vendredi 6 décembre 2013

 ENTRETIEN DE ROBERT MILIN 
AVEC BERTRAND TILLIER

REVUE SOCIETES ET REPRESENTATIONS N°36
AUTOMNE 2013, Publication de la Sorbonne


Un entretien autour de la question du portrait très présente depuis quelques années dans le travail de Robert Milin.


Veni, Veni Portrait d'éleveurs du Quercy
2005, Vidéo



Un extrait:


Bertrand Tillier : Alors que le genre du portrait a depuis longtemps été condamné comme suspect ou désuet, quel sens donnes-tu à cette pratique telle que tu la développes dans ton travail ?

Robert Milin : Je recherche plutôt une sorte de concrétion de temps, je viens puiser dans une forme que j’aurais entrevue antérieurement comme si un point m’avait touché dans l’histoire de la peinture, mais surtout dans l’histoire du portrait photographique. Et c’est ce point – connu / inconnu – que je convoque en pensant par exemple à l’œuvre d’August Sanders. Ce qui m’a intéressé chez Sanders, c’est qu’il aborde ses sujets avec frontalité, rigueur distanciée, mais dans le même temps, on le sent metteur en scène par une relation avec ses modèles. Cette relation préalable à l’acte de prendre une photo, je la perçois moins chez Walker Evans, par exemple. L’idée de la pose est importante pour moi et Sanders demandait certainement à ses modèles de prendre telle ou telle attitude, de se saisir de tels ou tels objets, en assumant le contexte. Il n’y a dans ce travail que peu d’effets, loin du pictorialisme contemporain, assumant toutes les possibilités de la photographie et de son medium, jusqu’aux idées d’archivage et de classement qui s’imposèrent à Sanders. Il a inventé une forme qui n’est pas un pur enregistrement du réel. C’est l’idée de fonction sociale de l’art qui m’intrigue, car dans l’œuvre de Sanders, on retrouve toute la société : des notaires, des cuisiniers, des policiers, des mendiants, des soldats, des débiles mentaux, des paysans, des enfants, des ouvriers, des artistes, des gens du cirque, des
anciens combattants. Sans vouloir totaliser et classer comme Sanders, je me situe sur le terrain de vouloir faire des portraits de gens, tout en cherchant une mise en scène, une interprétation personnelle par l’image en mouvement. Et en allant dans le monde social, en assumant une fonction sociale de l’art, je vois bien ce que cela peut avoir d’insupportable dans un certain monde de l’art, puisque toi-même, tu commences par dire, dès ta première question « genre désuet » – jusqu’à employer le mot « suspect ». Mais suspect de quoi, pourrais-tu en dire plus ?


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